vendredi 1 juillet 2011

Un prêtre bon(i)menteur

Le stop, je n’apprendrai ça à personne et surtout pas aux habitués, c’est souvent le meilleur moyen d’avoir une véritable image d’un pays. Aucun conducteur ne se ressemble, tous présentent des caractères et vécus différents. C’est la joie de finir, au gré de la chance, dans une voiture que tu ne pourras jamais te payer, ou dans un vieux tacot pourri, ce qui est souvent plus drôle.


Autant vous dire que lorsque je me suis retrouvée avec ma bière entre les genoux, dans la vieille Mercedes d’un prêtre orthodoxe, j’avais carrément l’impression d’être projetée dans un univers parallèle.

Nous venions de quitter Jagodina, notre deuxième étape, et voulions nous rendre dans un coin isolé pour y visiter un monastère. C’est dans une épicerie de bord de route que nous avons fait sa connaissance. Je l’avais trouvé un peu sévère de prime abord, sans doute bluffée par sa barbe blanche et sa grande robe noire, à la manière d’un Gandalf du côté noir de la force. J’ai d’abord cru qu’il me mangerait toute crue, mais force m’a été de constater qu’il était sociable et savait même manier l’humour, d’après les traductions sommaires de mes interprètes. Et puis non seulement il nous proposait de nous conduire au terminus, mais en bonus, il nous offrait l’hospitalité sous son propre toit.
J’ai sincèrement déploré, de prime abord, la barrière de la langue qui m’empêcherait de m’entretenir avec ce singulier personnage tellement gentil qu’il distribue des carambars aux petits n’enfants. Ma déception s’est écourtée lorsque celui-ci m’a déclaré solennellement que « les pires pêchés de la terre sont le fondamentalisme musulman et le communisme ». J’ai eu une petite pensée émue pour la bibliothèque de mon paternel où Marx et Trotsky figurent en bonne place. Je me suis d’ailleurs bien gardée de dire à notre cher bonze que le royalisme qu’il chérissait tellement ne m’apparaissait pas non plus comme inattaquable, pour rester polie.
En même temps, quand tu es paumée au milieu de nulle part, tu te gardes bien d’entrer en conflit idéologique avec celui qui pourrait te larguer sur le bas côté de la route, et où tu auras éventuellement la chance de te faire prendre en stop après une semaine ou deux, par une des rares voitures qui s’aventure dans le coin. D’ailleurs je ne suis pas partie en voyage pour débattre religion avec qui que ce soit.

Au moins, nous avons pu visiter sa jolie petite église, où Bambi s’est vu plus ou moins forcé à embrasser l’icône à l’entrée, pour éventuellement chopper aux passages les bactéries de tous les fidèles du coin. Nous avons également pu admirer son (hideux) portrait tout juste fini qu’il accrocherait non pas dans son église, mais chez lui, pour le plaisir de son seul regard. Pour la leçon d’humilité, on repassera.

Mais je suis un peu mauvaise langue, parce qu’au fond je lui suis reconnaissante de nous avoir baladés dans des endroits totalement délaissés, et parce qu’en descendant au sud, le paysage commençait à prendre de très beaux reliefs. A perte de vue s’étendaient des collines hardies et verdoyantes. J’étais partagée entre émerveillement et apaisement, ce spectacle me faisait du bien.
« La nature serbe est bénie » a-t-il déclaré, et pour une fois je ne pouvais qu’abonder dans son sens, même si nous ne partagions pas tout à fait la même notion du mot bénédiction. 
Je me suis laissée bercer par la Merco qui cahotait sur la route tortueuse pendant que Bambi faisait la discussion, curieuse de savoir à quoi pouvait bien ressembler le Home sweet home d’un prêtre orthodoxe. Luxueux ou modeste et épuré ?

Je ne l’ai jamais su, en fait, parce qu’au lieu de nous amener dans son antre comme il nous l’avait garanti, le voilà qui nous abandonne aux abords d’un motel en pleine nature :
« Je connais les propriétaires, vous pourrez planter votre tente sur leur terrain ! »

Malgré notre étonnement, je suis soulagée : sur le plan spiritualité, notre directeur de conscience et moi n’étions pas vraiment sur la même longueur d’onde. Mais surtout, nous sommes bien trop emballés à l’idée de pouvoir utiliser pour la première fois notre tente et rentabiliser l’achat de sacs de couchages tous neufs. L’once de déception (tout de même) que j’avais pu nourrir s’est effacée quand j’ai vu à quoi ressemblait notre endroit pour la nuit.

L’idée de se lever au petit matin avec la rivière Resava ruisselant à nos pieds procurait déjà un petit goût de paradis. Et nous étions à seulement un kilomètre du monastère de Manasija. Tout était parfait, donc...



Et le prêtre d’ajouter : « Je préfère vous savoir ici, au moins vous serez en sécurité.»



Pour l’intuition divine, on repassera aussi…

La photo est prise depuis l'emplacement de la tente.

Les alentours, si paisibles...


Photo prise du pont.

1 commentaire:

  1. Au volant, les membres du clergé orthodoxe sont réputés pour abuser du klaxon. On dit alors que le pope corne...

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