mercredi 26 janvier 2011

Rencontres inopinées

Le bar était surpeuplé, et ça tombait mal, car Jeanne détestait la foule.
« J’aimerais bien savoir comment tu réussis à profiter de l’ambiance ! La musique est gueularde, et je te parle même pas de l’impossibilité de lever le coude sans estropier ton voisin ! » S’exaspéra-t-elle auprès de son amie, Fanny qui ne semblait pas partager son jugement.

Dans ce genre de circonstances, sa petitesse devenait pénible. Elle faisait partie de ces victimes de tous les jours qui subissent, dans le métro, les exhalaisons d’individus à l’hygiène douteuse, le nez collé à leurs aisselles. En soirée, ça n’avait rien d’une ballade de santé non plus : elle finissait toujours par se retrancher dans un coin isolé pour ne pas se faire aplatir par des malabars sans scrupules. Fanny - et ses dimensions hors normes - ne manquait jamais d’air, elle. Lassée d’attendre un mojito qui ne viendrait pas la réconforter dans son infortune, Jeanne s’extirpa tant bien que mal de cette embuscade festive, et s’échappa vers la sortie.

A l’extérieur, le froid était presque insoutenable, mais elle préférait bien ça à la fournaise à laquelle elle venait d’échapper. Elle s’emmaillota dans son manteau, et sortit une cigarette de son sac. Les endroits grouillant de gens la plongeaient à tous les coups dans un état d’énervement frôlant l’hystérie. C’était plus fort qu’elle, et dans ces circonstances, pas moyen  de décompresser. Elle savait bien qu’aussi longtemps que ses amis voudraient s’attarder sur les lieux, sa soirée serait cuite !

Du moins c’est ce qu’elle en avait conclu avant que ses yeux ne se posent sur ce ravissant trentenaire, posté à deux mètres d’elle. Lui ne l’avait pas remarquée, toute concentration requise par son Blackberry, sourcils plissés, pas très vêtu malgré le froid. Il était foutrement canon, avec cette barbe courte et bien entretenue qui venait aguerrir le paisible regard bleu.
Jeanne, qui n’était pas du genre bégueule, pesa le pour et le contre : Ca se joue, ça se joue pas ? Oh et puis zut !

« Excusez-moi, vous auriez du feu ? » S’enquit-elle.
Bien entendu, son briquet à elle roupillait peinard dans le fond de sa poche et n’attendait que d’être utilisé, mais elle avait décidé de miser sur les bons vieux classiques. Après tout, il n’y avait pas quantité de manières d’aborder un mec, si ? Au moins, avec ça, elle était à l’abri du ridicule que pouvait provoquer de louables - et bien souvent casse-gueules - initiatives en matière de drague. D’ailleurs passé une certaine heure, la timidité n’était pas une convive estimée des coins fumeurs.

Poli, le jeune homme rangea le téléphone dans sa poche et alluma la cigarette de Jeanne. Il y avait un côté un peu pompeux chez l’individu qui ne parvint pas à la décourager : le sourire, lui, était engageant malgré tout.

Ils amorcèrent alors un semblant de discussion. Un peu comme avec un chat errant, il fallait bien l’amadouer avant de l’attraper. Elle lui confia ainsi son aversion pour les lieux saturés, et lui et son mètre 85 opinèrent, pleins de compassion pour le petit bout de femme qui se lamentait : « Je comprends, ça semble pénible. ».

-          Et sinon, tu fais quoi dans la vie ? interrogea-t-il.

Elle tira une bouffée de sa cigarette pour se donner un peu de contenance et lâcha, avec une pointe d’ironie :
-        Je travaille pour mon oncle, il a une boîte d'événementiel et il m’exploite pour faire le sale boulot !
-          Tu sais ce qu’on dit : il n’y a pas de sot métier ! déclara-t-il pour la consoler.
-          Oui, et puis bon, c’est au black, alors ça paye pas mal, j’me plains pas !
-          Au black ? Eh ben…
Elle rit :
-       Oui bon, c’est un peu salaud, venant de la famille, mais comme je t’ai dit, la paye est pas dégueu, et puis c’est toujours mieux pour lui de ne pas s’emmerder avec des histoires de paperasse ! Tu connais la chanson !

Pour sur, qui ne la connaissait pas ! Et au fur et à mesure qu’elle parlait, elle remarqua qu’il n’en perdait pas une miette. Un groupe de gens qui s’amassait devant la porte de l’établissement entravait leur discussion, et il l’invita à s’asseoir sur le parapet qui longeait les fenêtres pour être plus au calme. Elle s’assit, et il interrogea avec intérêt :
-          Une boîte d’événementiel tu dis ? Et le nom de la boîte, ça s’appelle comment ?
Son affabilité l’invitait à être plus bavarde : ce n’était pas tous les jours que les mésaventures de son job à la con trouvaient une oreille attentive ! Ca la changeait de la condescendance que pouvaient exprimer certains à son encontre.
-          Baltik Event ! fanfaronne-t-elle, pas peu fière de s’improviser promotrice. C’est pas très loin d’ailleurs, boulevard Henri IV ! Tu veux aller voir notre site ?
-           Et comment !
Et pouf, le Blackberry fit son grand retour, et le jeune homme nota avec minutie tout ce qu’elle lui disait. Il était peut-être un de ces promoteurs à la recherche de bons tuyaux, et elle se réjouit d’avance d’avoir déniché un client potentiel.
-          Merci beaucoup ! lâcha-t-il lorsqu’elle eut achevé son exposé.
Il remit d’un geste prudent le fragile appareil et frotta ses mains engourdies par le gel pour les réchauffer
Enhardie, Jeanne lui offrit une cigarette en guise de deuxième round, et en expirant la première latte, demanda à son tour :
-          Et toi alors, c’est quoi ton boulot ?
Il se leva et s’étira un peu trop longuement avant de se pencher sur elle avec un sourire en coin.
Il marqua un petit temps d’arrêt, et c’est curieux, mais tout à coup elle le trouvait presque vilain, son bel inconnu...
-          Moi ? Je suis contrôleur fiscal.

mercredi 19 janvier 2011

Le désamour

Cette nuit, j’ai fait un cauchemar. 

Je me suis réveillée et je n’ai pas pu me rendormir. 

Tu dormais là, comme un môme. Tous les hommes en redeviennent un lorsqu’ils dorment. Si vulnérables et si fragiles que c’en est déroutant. 
Au fil des ans, mûrissant à tes côtés et à celui de ton adultisme, j’avais pris goût à incarner un rôle cajolant de petite mère, auquel tu te soumettais sans te faire prier, trouvant toi aussi satisfaction dans ce chassé-croisé venu bouleverser l’ordre naturel des choses. 
Alors, j’ai laissé mes doigts s’égarer dans tes cheveux en révolte. Tu as frémis un peu. Ta respiration était paisible. J’avais l’envie de te protéger, celle de la mère qui protège l’enfant. 

Et sans que ça ne prévienne, les larmes sont venues me brouiller la vue. 

Et j’ai pleuré. 

J’ai pleuré car j’ai compris que je ne t’aimais plus, que cela faisait longtemps déjà que tu n’étais plus l’homme de ma vie, que mon amour pour toi s’était échappé non pas un beau matin, mais chaque jour un peu plus sans que je ne le vois s‘enfuir. Tu reposais là, j’étais emplie d’une tendresse incommode, et cette tendresse venait de ce constat que je ne t‘aimais plus. Et alors j’ai compris : j’étais en train de t’abandonner. Avec, ancrée au fond de moi, cette impression de te bafouer. De bafouer nos promesses d’amour. De me trahir moi-même en n’étant pas fidèle à la parole donnée qui jurait que je t’appartiendrai toujours. 

J’ai pleuré sur la tombe d’un amour qui m’aura octroyé extase et chagrin. 
J’ai pleuré sur l’échec, sur la certitude qu’il ne suffit pas toujours d’y croire pour que les choses arrivent. 
J’ai pleuré sur l’impuissance. 

Mais j’étais heureuse, moi! J’étais heureuse de t’aimer... J’étais heureuse d’être tienne et que tu sois mien. J’étais heureuse de partager mes espoirs avec toi, d’entremêler mes états d’âmes aux tiens. 

Oh j’y avais cru, si tu savais comme j’y avais cru! J’y croyais avec toute la ferveur des amoureux indociles, parfaitement sourds aux réalités statistiques qui racontent que les histoires d’amour finissent mal « en général »... Pour ce qui est de nous, ça ne s’est pas mal fini, ça s’est fini voilà tout. Comme une mélodie qui expire. La fin d’un cycle et le début d’un nouveau. 

Je ne comprends pas mon désamour. Je ne saurais pas dire quand j’ai cessé de t’aimer. Je n’ai pas saisi cette imperceptible métamorphose qui a fini par nous condamner. 

Demain ou dans quelques jours, il faudra bien que je te dise que je ne t’aime plus. Il faudra trouver le moment opportun.


« Il faut que je te parle… Cette nuit j’ai fait un cauchemar… »

Présentation

L'écriture a toujours été essentiel à mes yeux. Un désir, une nécessité, une inclination naturelle. Cependant, je n'ai jamais effectué de véritable travail en la matière, me reposant paresseusement sur certaines facilités et sur un savoir pourtant bien maigre.

Et puis un jour j'ai commencé à me lasser de ces écrits commencés et jamais terminés, j'ai été fatigué de l'aridité permanente de mon inspiration. J'avais commis l'erreur de centrer l'écriture sur moi, et seulement moi. La frustration qui en a résulté m'a poussée, il y a quelques jours, à contacter une amie écrivain. Je lui ai envoyé un texte qui comptait à mes yeux et que je n'avais jamais eu le courage de remanier. Consciente de ses faiblesses, je n'avais aucune idée de ce que j'avais à faire pour le remanier, le renforcer. J'étais livrée à mon propre et seul regard, et sa subjectivité.

Cette amie a décortiqué mon texte, en a pointé les déficiences qu'il présentait avec une bienveillante sévérité. Ce qu'elle m'a offert, c'est un travail d'éditeur, et enfin, elle a dégagé de nouvelles voies que j'ai pris un plaisir incomparable à explorer. 

Sortir de l'immobilisme n'est pas une tâche facile, mais sur ses recommandations, j'ai ouvert ce blog que j'ai classé dans la catégorie "Littérature" quand j'avais pris l'habitude de choisir "Journal/Vie quotidienne". Dans un coin de ma tête, restera ancré son premier conseil : "Eloigne l'écriture de toi pour mieux te trouver, c'est important d'ouvrir les yeux sur l'extérieur quand on aime écrire, car sinon, au bout d'un moment, on risque de s'ennuyer en sa propre compagnie!". J'en profite au passage pour lui dire un grand merci, car son rôle a été décisif dans ce choix. Je lui dois d'avoir ouvert mon regard sur mon propre travail.

Ce blog est donc un blog d'entraînement, qui accueillera des essais, des travaux, des exercices que je m'imposerai. C'est aussi l'occasion de le marier à l'apprentissage que je fais de la photographie en ce moment même. Ceci dans une démarche de recherche, recherche de mon propre style (littéraire et photographique donc), de ma propre musique, que je livre désormais à votre regard.

En espérant que la balade vous plaise, je vous souhaite une agréable visite.