mardi 1 février 2011

Vertige


Elle se précipitera dans le vide.

Avec le courage et la grâce de ceux qui n’ont plus rien à perdre, elle se jettera au vent. Elle prendra son élan et courra, comme l’athlète qu’elle ne sera jamais.

Elle emplit ses poumons de grandes bouffées d’air frais, la cage thoracique gonflée à fond pour pallier l’apeurement. Elle s’élance. Une course courte, faite de grandes enjambées, muscles bandés, jambes tendues à l’extrême pour ne pas s’arrêter.
Lorsqu’elle sent le bord du rocher, elle jaillit vers le ciel.
Là, dans la pérennité de l’instant, elle reste suspendue, figée dans l’éther, avec le vent comme seule compagnie, qui siffle à ses oreilles et caresse son corps.

Puis elle s’incline. Plus lourde qu’une pierre, elle fend le vide. Se laisse étreindre par le vertige qui chambarde ses entrailles. La stabilité du rocher est déjà loin au dessus d’elle : les dés sont jetés.

L’eau la reçoit sèchement, comme une gifle, l’aspire dans son bourdonnant silence, l’englouti avec brutalité dans ses profondeurs troublées. Elle ne résiste pas à la puissance de sa propre charge. Elle soumet son être à la houle qui la tourmente, fusionne avec ces flots qui l’éreintent, inquiète soudain de perdre l’énergie nécessaire pour remonter. Mais une saccade vigoureuse suffit à la conduire jusqu’à la lumière. L’adrénaline de la chute a ravivé jusqu’au moindre de ses muscles, électrisant l’entièreté de sa chair : elle est heureuse. Heureuse et soulagée. Un rire la bouleverse, incontrôlable.

Quelques mètres plus haut, le rocher sur lequel elle était restée paralysée pendant près d’une heure la toise de toute sa hauteur. Mais il lui semble insignifiant à présent : la peur de sauter s’est envolée dans la chute. Ses amis qui avaient moqué son appréhension un peu plus tôt lui sourient :

Tu vois ? Ce n’était pas si terrible finalement !